Les lois Sapin et Barnier n'empêchent pas l'indemnisation du concessionnaire en cas de résiliation d’une concession d’une durée excessive
Le concessionnaire, dont le contrat a été résilié par la personne publique concédante, a droit à une indemnité quand bien même la durée de la concession serait excessive.
Par un arrêt du 27 janvier 2020, le Conseil d'Etat réaffirme et précise le droit à indemnité du concessionnaire en cas de résiliation du contrat de concession (CE, 27 janvier 2020, n°422104, publié aux tables du recueil Lebon).
Dans cette affaire, une réduction de 25% des tarifs de base d'une concession de service public d'eau et d'assainissement conclue en 1991 pour une durée de 29 ans, avait été décidée par la personne publique concédante. La société concessionnaire refusant de signer l'avenant actant cette réduction de sa rémunération, la résiliation avait été décidée par le concédant en 2010.
Les juges du fond, saisis par le concessionnaire, ont évalué à plus de deux millions d'euros, l'indemnisation due par le concédant. Ce dernier a alors formé un pourvoi.
Indemnisation des biens de retour à hauteur de leur valeur nette comptable
Le Conseil d'Etat rappelle et complète sa jurisprudence « Commune de Douai » instituant l'indemnisation obligatoire du délégataire, en cas de résiliation anticipée du contrat par la personne publique, quel qu'en soit le motif (CE Ass., 21 déc. 2012, n ° 342788). Cette indemnisation correspond au préjudice subi à raison du retour des biens nécessaires au fonctionnement du service public, à titre gratuit, dans le patrimoine de la collectivité publique concédante. Elle vise à éviter tout enrichissement sans cause de cette dernière. La Haute juridiction complète sa jurisprudence de 2012 en précisant que l'absence d'amortissement, ouvrant droit à indemnité, peut être due soit à une durée du contrat inférieure à la durée de l'amortissement de ces biens, soit à la résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement.
Dans le silence du contrat, le calcul de l'indemnité varie selon que l'amortissement des investissements du concessionnaire est calculé sur une durée d'utilisation inférieure ou supérieure à la durée du contrat :
- lorsque l'amortissement des biens est calculé sur la base d'une durée inférieure à celle du contrat de concession, l'indemnité du concessionnaire est égale à la valeur nette comptable inscrite au bilan ;
- lorsqu'il est calculé sur une durée supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat.
Les parties peuvent déroger à ces modalités de calcul. Néanmoins, cette indemnité ne peut, en toute hypothèse, excéder le montant calculé selon les modalités de calcul énoncées ci-dessus.
Le Conseil d'Etat confirme que le calcul de l'indemnisation doit prendre en compte la valeur nette comptable des biens, et non, leur valeur économique, comme le soutenait la collectivité concédante. Le juge écarte ce moyen selon lequel les biens de retour étant économiquement amortis à la date de résiliation de la convention, ce retour gratuit et anticipé ne causait pas de préjudice au concessionnaire, et aucune indemnité ne devait alors lui être versée. En l'absence de stipulations contraires prévues par le contrat, l'indemnité est fixée à la valeur nette comptable des biens concernés, quand bien même ils auraient été économiquement amortis avant la résiliation du contrat grâce aux résultats de l'exploitation de la concession.
Durée du contrat excessive mais pas illégale
L’autorité concédante invoquait également la nullité du contrat en ce qu'il aurait été conclu pour une durée supérieure à ce qu'autorisent les lois Sapin du 29 janvier 1993 et Barnier du 2 février 1995.
Le Conseil d'Etat écarte également ce moyen au motif que si les concessions ne peuvent être d'une durée excédant les durées maximales légalement fixées, le contrat litigieux avait été conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de ces lois.
Le Conseil d'Etat précise que le droit à indemnité et les principes de calcul de son montant énoncés plus haut s'appliquent en dépit de l'entrée en vigueur :
- de la loi Sapin qui a fixé la règle selon laquelle la durée des conventions de délégation de service public (DSP) ne doit pas dépasser la durée normale d'amortissement des installations,
- et de la loi Barnier qui prévoyait que, dans le domaine de l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les DSP ne peuvent avoir, en principe, une durée supérieure à 20 ans.
Remarque : en application de la loi Barnier du 2 février 1995 et de la jurisprudence du Conseil d'Etat «Commune d'Olivet », les conventions de DSP conclues avant l'entrée en vigueur de la loi Barnier pour une durée supérieure à 20 ans, ne peuvent plus être régulièrement exécutées à compter du 3 février 2015 (CE Ass., 8 avril 2009, n° 271737).
En l'espèce, la résiliation ayant pris effet au 1er janvier 2013, ces règles ne s'appliquaient pas.
La durée excessive de la concession n'étant pas illégale, elle ne fait donc pas obstacle à l'indemnisation du concessionnaire. La solution serait différente dans l'hypothèse où la durée du contrat serait illicite dès sa conclusion.