Neutralisation des mécanismes de régularisation prévus par les articles L.600-5 et L.600-5-1 du Code de l’urbanisme en cas de travaux sur une construction irrégulière
CE 6 octobre 2021, Société Marésias, n°442182
Par un arrêt du 6 octobre 2021, le Conseil d'Etat considère qu'il n’est pas possible d’obtenir l’annulation partielle ou la régularisation en cours d’instance d’un permis de construire qui autorise des travaux sur une construction irrégulière sans régulariser l’existant
Rappel des règles relatives aux travaux sur construction irrégulière
Issu de la jurisprudence « Thalamy » (CE 9 juillet 1986, n°51172) et de ses développements ultérieurs, ces règles conditionnent l’autorisation de nouveaux travaux sur une construction existante à la régularisation complète de l’existant irrégulier.
Ces règles sont rappelées par le Conseil d’État dans le considérant n°2 de l’arrêt commenté :
« Lorsqu’une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment. De même, lorsqu’une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation. Dans l’hypothèse où l’autorité administrative est saisie d’une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation. Cette invitation, qui a pour seul objet d’informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s’il entend poursuivre son projet, n’a pas à précéder le refus que l’administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés ».
Ainsi, la réalisation de travaux sur une construction qui a été édifiée ou modifiée sans les formalités requises ou réalisée sans respecter l’autorisation obtenue, nécessite la présentation d’une demande d’autorisation globale portant à la fois sur le nouveau projet mais aussi, à titre de régularisation, sur les anciens travaux non autorisés. L’administration est alors à même d’apprécier la conformité de l’ensemble de la construction aux règles d’urbanisme applicables.
Saisie d’une demande circonscrite aux travaux nouveaux, l’administration se trouve en situation de compétence liée pour la rejeter (CE 3 mai 2011, n°320545).
Celle-ci doit également inviter le pétitionnaire à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation. Dans son arrêt du 6 octobre 2021, le Conseil d’État précise que cette deuxième obligation ne constitue pas un préalable obligatoire à la décision de rejet mais a pour seul objet d’informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s’il entend poursuive son projet.
Non-application des mécanismes de régularisation prévus par les articles L.601-5 et L.601-5-1 du Code de l’urbanisme aux autorisations d’urbanisme accordées en méconnaissance des règles relatives aux travaux sur construction irrégulière
Aux termes de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L.600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l’autorisation pourra en demander la régularisation, même après l’achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d’annulation partielle est motivé ».
Selon l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L.600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entrainant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si cette mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».
Il résulte de ces dispositions que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, le juge doit, en application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce qu’il fasse le choix de recourir à l'annulation partielle prévue par l’article L.600-5 du code de l’urbanisme si les conditions posées par cet article sont réunies ou que le bénéficiaire de l’autorisation lui ait indiqué qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation.
Quant au champ des vices régularisables, le Conseil d’État rappelle « qu’un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».
Toutefois, et tel est le principal apport de l’arrêt commenté, le Conseil d’État précise que lorsque l’autorité administrative « saisie (…) d’une demande ne portant pas sur l’ensemble des éléments qui devaient lui être soumis, a illégalement accordé l’autorisation de construire qui lui était demandée au lieu de refuser de la délivrer et de se borner à inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble des éléments ayant modifié ou modifiant la construction par rapport à ce qui avait été initialement autorisé, cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme ou d’une annulation partielle en application de l’article L.600-5 du même code ».
Ainsi, si l’administration fait droit à une demande d’autorisation de travaux portant sur une construction existante, édifiée ou modifiée sans les autorisations d’urbanisme requises, et portant sur l’ensemble des éléments de la construction, y compris ceux à régulariser, l’autorisation délivrée est entachée d’une illégalité qui ne pourra pas faire l’objet d’une mesure de régularisation ou d’une annulation partielle.
En l’espèce, la société Marésias a acquis en août 2012 une villa située à Saint-Cyr-sur-Mer, édifiée au titre d’un permis de construire délivré le 15 mai 1962.
Par un arrêté du 9 juin 2017, le maire de Saint-Cyr-sur-Mer a délivré à la même société un permis de construire pour la réalisation de travaux d’augmentation de la surface de plancher de 40 m2, la modification des façades, toitures et aménagements du terrain ainsi que la création de 5 places de stationnement.
Des voisins immédiats du projet ont saisi le tribunal administratif de Toulon d’un recours en annulation de cet arrêté.
Par jugement du 10 avril 2020, le Tribunal administratif de Toulon a fait droit à cette demande au motif que le maire de Saint-Cyr-sur-Mer n’avait pu légalement délivrer le permis de construire du 9 juin 2017 faute pour le pétitionnaire d’avoir présenté une demande de permis de construire portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui avaient eu ou allaient avoir pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement autorisé par le permis de construire délivré en 1962.
Saisi d’un pourvoi en cassation contre ce jugement formé par la société Marésias, le Conseil d’État a jugé que le tribunal administratif de Toulon n’avait pas commis d’erreur de droit ou dénaturé les faits de l’espèce en jugeant, compte tenu du motif d’annulation qu’il retenait, qu’il n’y avait pas lieu de mettre en œuvre les dispositions des articles L.600-5 et L.600-5-1 du code de l’urbanisme.
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