22, avenue de l'observatoire, 75014 Paris
01 56 53 80 50

Faut-il permettre à un candidat évincé pour l'irrégularité de son offre de se prévaloir, dans le cadre d'un référé contractuel, de l'irrégularité de l'offre retenue?


 

Dans un arrêt du 27 mai 2020, le Conseil d’Etat a jugé que l’irrégularité de l’offre d’un candidat évincé ne le prive pas de la possibilité de faire valoir que l’offre retenue est elle-même irrégulière devant le juge du référé contractuel (n°435982). Ce faisant, il s’aligne sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et opère un revirement de jurisprudence pour garantir l’effet utile du recours.

 

En l’espèce, la collectivité territoriale de Martinique a engagé une consultation en vue de la conclusion d’un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites divisé en neuf lots. La société Clean Building qui s’est portée candidate s’est vue attribuée le lot n°8 et a vu son offre rejetée pour les autres lots. La société Clean Building a demandé au juge des référés, sur le fondement de l’article L.551-1 du Code de justice administrative (CJA), l’annulation de la procédure de passation du marché pour les lots qui ne lui ont pas été attribués. La collectivité territoriale ayant signé le marché quelques heures après l’enregistrement du recours de la société Clean Building, celle-ci a présenté de nouvelles conclusions en référé contractuel sur le fondement de l’article L.551-13 du CJA.

 

Par ordonnance du 30 septembre 2019, le juge des référés a décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la demande présentée par la société Clean Building sur le fondement de l’article L.551-1 du CJA et a rejeté le surplus des conclusions qu’elle a présentées sur le fondement de l’article L.551-13 et suivants du même code (référé contractuel).

 

La société Clean Building a demandé au Conseil d’Etat d’annuler cette ordonnance.

 

Faut-il permettre à un candidat évincé pour irrégularité de son offre de se prévaloir, dans le cadre d’un référé contractuel, de l’irrégularité de l’offre retenue ?

 

Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat estimait que le candidat dont l’offre est elle-même irrégulière ne peut jamais être regardé comme lésé par le choix d’un candidat irrégulièrement retenu dans la mesure où ce n’est pas l’irrégularité de ce choix qui est la cause de son éviction mais seulement l’irrégularité de sa propre offre (CE, Sect., 3 oct. 2008, SMIRGEOMES, n°305420). 

 

Il ne pouvait en aller autrement que si l’irrégularité de l’offre du requérant était le résultat du manquement dénoncé (CE 12 mars 2012, n°353826).

 

Mais, la Cour de justice de l’Union Européenne a, à plusieurs reprises, adopté une solution inverse en tenant un raisonnement différent. Le but est de garantir l’effet utile du recours qui est d’empêcher que le contrat ne soit attribué à une offre irrégulière et de permettre aux candidats évincés de présenter une offre régulière dans le cadre d’une nouvelle procédure. Elle permet donc à un candidat dont l’offre est irrégulière de faire valoir que l’offre retenue est elle-même irrégulière. Elle considère que chaque concurrent peut faire valoir un intérêt légitime équivalent à l’exclusion de l’offre des autres, pouvant aboutir au constat de l’impossibilité pour le pouvoir adjudicateur de procéder à la sélection d’une offre irrégulière (CJUE 4 juillet 2013, aff. C-100/12, Fastweb, rev. UE 2014.641).

 

Dans son arrêt du 27 mai 2020, le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence et s’aligne sur la jurisprudence de la CJUE pour garantir l’effet utile du recours.

 

Le juge des référés avait rejeté les conclusions du candidat évincé au motif que même si effectivement l’offre de l’entreprise attributaire de l’un des lots était bien irrégulière, car anormalement basse, le fait même que l’offre du candidat requérant l’ait été aussi, pour le même motif, le privait de la possibilité de s’en prévaloir.

 

Pour le Conseil d’Etat, le juge des référés a commis une double erreur de droit en rejetant les conclusions de l’entreprise requérante et en ne prononçant aucune sanction pour la signature prématurée du contrat.

 

Sur le premier point,  le Conseil d’Etat a jugé que « la circonstance que l’offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire du contrat en litige. Tel est notamment le cas lorsqu’une offre peut être assimilée par le juge des référés dans le cadre de son office, à une offre irrégulière en raison de son caractère anormalement bas ». La procédure d’attribution du lot est donc annulée.

 

Cette solution sera probablement appliquée au référé précontractuel car, ainsi que le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions, « les deux procédures sont liées, le référé contractuel prenant le relais du référé précontractuel lorsque celui-ci, qui est la voie ordinaire de recours, n’a pu être efficacement exercé du fait d’un manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de suspension du signature du contrat ».

 

Sur le second point, le Conseil d’Etat rappelle que le juge du référé contractuel qui constate que le contrat a été signé au mépris des règles de suspension mais qui ne retient aucun manquement de nature à en justifier l’annulation ou la résiliation se doit, au moins, le cas échéant d’office, d’infliger à l’acheteur une pénalité financière (CE 25 juin 2019, n°423159). Il prononce donc à l’encontre du pouvoir adjudicateur une pénalité de 10 000 €.


Articles similaires

Derniers articles

Une convention d'occupation du domaine public peut écarter la création d'un fonds de commerce

Les nouveaux seuils européens de marchés publics

Neutralisation des mécanismes de régularisation prévus par les articles L.600-5 et L.600-5-1 du Code de l’urbanisme en cas de travaux sur une construction irrégulière

Catégories

Création et référencement du site par Simplébo   |   Site créé grâce à PRAEFERENTIA

Connexion